Cyril Horiszny. Photojournaliste.

Publications

Nouveautés
Galeries
Publications
Expositions
Profil
Contacts



 

Lviv pèse ses maux

 

 

La mine convulsée, le verbe rageur, une poignée d’anciens réunis devant la mairie profèrent à tour de rôle leur indignation au milieu d’une foule d’Ukrainiens au regard sombre.
A Lviv, dans l’Ouest de l’Ukraine, le cimetière militaire polonais déchaîne les passions depuis quelques années, mais se retrouve plus que jamais sur le devant de la scène politique depuis le 16 mai dernier. Coup de tonnerre dans les relations polono-ukrainiennes, le Conseil municipal de Lviv s’oppose ce jour-là à l’épitaphe réclamée par la Pologne sur le mémorial des Aiglons-«Orlyata».

 

La plaque controversée doit rendre hommage à ces combattants polonais en guerre contre l’Armée Ukrainienne de Galicie de 1918 à 1919, et plus précisément à ces «soldats inconnus polonais, tombés héroïquement pour l’indépendance de la Pologne».
Mais pour les autorités de Lviv, il n’y a pas de place pour plusieurs «héros» dans la capitale de la Galicie orientale (Halytchyna). Pomme de discorde entre les deux peuples près d’un siècle plus tôt, la région sera ballottée au fil de l’histoire entre Ukrainiens-Ruthènes et Polonais.

 

Au XIIIe siècle, l’Etat de Galicie-Volhynie voit le jour après l’éclatement de la Rus de Kiev, et devient le plus puissant de toute l’Ukraine. La Pologne s’empare de la Galicie en 1352 et la contrôlera officiellement jusqu’au partage de son royaume en 1772.
Au XIXe siècle, cette province jouit d’une grande autonomie aux confins de l’Empire austro-hongrois. Peuplée essentiellement d’Ukrainiens dans les campagnes, elle continue d’attiser la convoitise de Polonais, bercés par leur glorieux passé. Ils sont majoritaires à Lviv, vitrine de la région.

 

Si les deux populations cohabitent tant bien que mal dans le calme, l’Ukraine comme la Pologne rêvent de reconstruire un Etat indépendant, inconcevable sans la bien-aimée Galicie orientale. Alors que l’affaiblissement des Empires durant la 1ere guerre mondiale entraîne la généralisation des revendications nationales à travers toute l’Europe centrale et orientale, la chute des Habsbourg en 1918 permet aux Ukrainiens d’instaurer une brève République Nationale d’Ukraine de l’Ouest à Lviv.

 

Après d’âpres combats dans les faubourgs de la ville, les troupes polonaises reprennent Lviv, puis l’ensemble de la région en juillet 1919, la «Guerre d’Indépendance» est terminée. Peuplée majoritairement d’Ukrainiens la Galicie est annexée par la Pologne dès 1921, avant de regagner la République Soviétique d’Ukraine en 1939, à la faveur du pacte Molotov-Ribentrop entre soviétiques et nazis. La région incarnera le foyer de l’indépendance ukrainienne, acquise en 1991.

 

Aujourd’hui, le débat autour du mémorial polonais peut paraître dérisoire face à l’enjeu que représente la réconciliation polono-ukrainienne. Pourtant, il continue d’empoissonner les relations entre les deux pays, malgré les efforts de rapprochement entrepris depuis 10 ans. Le sort de la Galicie a contribué à nourrir de longues années durant un courant nationaliste revanchard dans les deux camps. Mais en Ukraine, l’amertume s’efface tant bien que mal, au profit d’une nouvelle génération tournée vers le pays qui peut la tracter vers l’Europe.

 

Premier Etat à avoir reconnu l’indépendance de l’Ukraine, la Pologne voit en partie dans son voisin slave un Etat-tampon avec la Russie, gage de sa propre stabilité. Les deux pays s’efforcent donc depuis la chute du communisme de développer des relations de bon voisinage malgré un passé tumultueux.

Embarrassé par la réaction de la ville de Lviv, propriétaire du cimetière, le président polonais A. Kwasniewski préférait annuler sa rencontre avec L. Koutchma, prévue le 21 mai dernier. Le président ukrainien, en adoptant le texte à l’insu du Conseil municipal de Lviv s’est exposé au malaise face à la complexité des relations entre les deux nations. D’autant plus à l’Ouest de l’Ukraine, où les rapports avec la Pologne ont une charge émotionnelle toute particulière.

 

La démarche d’ A. Kwasniewski touche quant à elle un point hautement sensible chez certains Ukrainiens, pour lesquels certaines pages douloureuses de l’Histoire ukrainienne sous domination polonaise ont du mal à cicatriser, comme l’Opération Vistule - «Akcja Wisla».
En 1947, environ 150 000 Ukrainiens sous le régime communiste polonais se sont vus déportés manu militari des abords de la frontière polono-ukrainienne, pour être dispersés et mieux assimilés dans les territoires polonais récupérés aux Allemands. Aujourd’hui, ce nettoyage ethnique reste surtout traumatisant chez les plus anciens.

 

En définitive, l’affaire des Aiglons souffle sur les braises d’une rancune latente, et soulève également des questions d’identité dans une jeune nation ukrainienne en construction. A Lviv, l’empreinte des Polonais survit dans une ville qui préserve certains vestiges de leur présence. Mais pour beaucoup à l’Ouest de l’Ukraine, glorifier l’ancien occupant est un détail de poids dans un pays qui se doit d’affirmer son identité nationale et son histoire longtemps malmenées.
Un précepte appliqué à la lettre en Pologne, où l’on ne trouve aucun panthéon à la gloire des Allemands ou encore des Russes. Et lorsqu’un ancien de Solidarnosc, Adam Michnik, envisage de bâtir à Wroclaw un musée dédié à toutes les populations déportées de Pologne, le projet fait grand bruit avant d’être avorté.

 

La démarche de la Pologne en Ukraine trahit donc pour certains des signes d’arrogance, mais ce geste ne doit pas être récupéré par la frange ultra-nationaliste ukrainienne, habituée à diaboliser son voisin. Aussi incertain qu’ait pu être le visage de cette Galicie par le passé, aujourd’hui elle incarne bel et bien un centre spirituel et culturel majeur de l’Ukraine indépendante.
Il appartient à Lviv, certainement la plus européenne des villes d’Ukraine, de chercher le compromis et le dialogue pour renforcer un rapprochement encore fragile entre les deux pays, gage de stabilité dans cette partie centrale de l’Europe. Alors, l’anniversaire de la réconciliation polono-ukrainienne passé à la trappe cette année, retrouvera peut-être ses droits.


© 2002 Cyril Horiszny

 

 

 Retour

 

 

     

Copyright © 2006. Cyril Horiszny. All Rights Reserved. Developed by WebForge